L'artiste et son "oeuvre"
Dernière mise à jour : 2 nov.
L'oeuvre est une partie de quelque chose...
L'oeuvre et la personne
Le mythe de l'artiste éthéré
L'amour du geste et des matériaux
La vraie vie de l'artiste
L'artiste et son oeuvre...: je suis artiste, je raconte quoi ?
Le discours du peintre en 2024
Phi, sur sa peinture....
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L'oeuvre est une partie de quelque chose...
Comme je l'ai appris, "l'oeuvre" n'est pas tout. Elle est une partie de quelque chose, ou alors, sans âme et sans récit, elle est promise à une triste fin. Celle de l'objet matériel sans auteur identifié. Songez à toutes ces peintures anciennes restées sans nom, sans signature, vouées à l'abandon poussiereux des greniers ou à l'errance, sur les étals de marchés aux vieilleries. Et à moins que quelque porteur d'affaire ou amateur d'art érudit ne reconnaisse la "main" d'un artite éminent - la conduisant ipso-facto vers quelque laboratoire d'analyse physico-chimiques, il est peu probable que cette "oeuvre" intéresse qui que ce soit, en dehors du Temps et de ses morsures. Cela tient à peu de choses, n'est-ce pas ?
L'oeuvre et la personne
Ainsi "l'oeuvre" est indissociable de la personne, de l'individu qui l'a fait naître. Voilà pourquoi les paroles de peintres des temps passés sont si précieuses, collectées avidement par les chercheurs dans les archives. D'ailleurs, avec du recul, la recherche est assez peu regardante sur la qualité du contenu : et c'est tant mieux, elle souhaite être objective alors elle prend tout ! tous les mots d'artistes, jusqu'à leurs gribouillis infâmes qui laissent sur quelques lettres des traces touchante de leur passage.
Le mythe de l'artiste ethéré
Dans l'esprit de bien des gens aujourd'hui, reste comme un lieu commun l'idée que ces peintres ne peuvent avoir laissé que d'estimables témoignages sur leur oeuvres, leur état d'esprit, leurs aspirations, leurs craintes profondes, leurs croyances. Fort heureusement, ils ne se sont pas seulement limités à construire une image d'eux-mêmes destinée à la postérité, ce que nous faisons tous aujourd'hui à l'heure d'Instagram et de Linkedin. Non, parfois et même souvent, ils prenaient plaisir à raconter leur quotidien, leur travail journalier, à évoquer par le menu la dureté de la vie, la peur de la mort, le devenir de leur âme, jusqu'à leurs maux de ventre (vraiment, si vous ne l'avez pas déjà lu, allez-vous plonger dans le journal quotidien de Pontormo (1494-1556) !).
L'amour du geste et des matériaux
Ces vieux peintres n'oubliaient pas non plus - jusqu'à un certain point peut-être - d'évoquer les aspects techniques et leurs secrets d'ateliers ; ils le faisaient même souvent avec amour de la précision et du détail : parler de leur métier, des étapes de production de leurs peintures, des matériaux sollicités, de leur coût, de leur acheminement, des savoir-faire mis en oeuvre.
Tout historien des temps passés habitué au monde des archives le sait, l'argent, les coûts, les recettes et les dépenses, étaient au coeur des préoccupations des plus modestes comme des plus connus ! Même les peintres lettrés chinois, dont on a tant dit qu'ils passaient leurs jours assis en tailleur à méditer sur la nature humaine et les mouvement de l'eau, avaient l'habitude de travailler collectivement, de coller des affiches promotionnelles sur leurs devantures et d'aller frapper aux portes des lettrés et autres marchands, pour glâner quelques commandes (Feu James Cahill met en lumière ce sujet extrêmement intéressant : https://jamescahill.info ). Il n'y a pas de honte à vivre de son art et c'est même tout à l'honneur de l'artiste, quel qu'il soit, de démarcher sa clientèle et d'espérer vivre de sa production.
La vraie vie de l'artiste
Que cela soit dit ! s'il faut déconstruire quelques lieux communs qui continuent de sévir, alors sachez-le, l'artiste éthéré n'a jamais existé. Il a toujours eu besoin de manger, de se soigner et de dormir. Même s'il a pu avoir d'extraordinaires pensées, même s'il s'est affiché "artiste"dans les plus grands excès et le plus grand dénuement.
Et il a souvent été très attentif aux techniques qu'il employait, aux étapes de création, aux matériaux et à leurs coûts, quand l'historiographie, elle, n'a pas voulu trop s'attarder sur ce qui pouvait venir entâcher l'image idéelle du peintre intellectuel : l'artisanat, la technique. Heureusement, la recherche récente, celle qui a émergé dans les années 2000, ainsi que les développements importants des sciences de la matière ont permis d'explorer ces nouvelles pistes et de revenir à une image plus juste de l'artiste.
L'Artiste et son "oeuvre": je suis artiste, je raconte quoi ?
Pourquoi ce long laïus ? parce qu'il faut bien revenir au "discours" du peintre en 2024, à ses dits et ses non-dits.
Je suis artiste : oui. Aussi loin que je me souvienne, même si je n'ai pas toujours peint et dessiné et que j'ai gagné autrement ma vie. Phi était là, dès la naissance. Pas d'hésitation ou de légitimité à chercher. J'assume aussi d'être une artiste qui doit vivre de sa peinture.
Après tout ce que j'ai dit, j'ai conscience aussi que mon oeuvre seule a peu d'intérêt. Elle est un medium sensible, elle autorise l'autre - elle l'invite même ! - à entrer en contact avec ce que je suis. Ce qu'il voit à travers la peinture, et ce que j'accepte de lui raconter.
Le discours du peintre en 2024
Les temps ont changé depuis Pontormo... soyez rassurés, je ne m'attarderai pas sur ma digestion, ni sur mes croyances profondes et je n'ai aucune intention de vous servir des concepts creux pour parler de "mon art", ou de l'habiller de quelconques discours politiques de circonstance, dans l'air du temps. Il y a tant de paroles vides, si souvent venues se substituer à l'essentiel dans toutes les formes d'écriture, et même la recherche, ces dernières années.
Phi, sur sa peinture...
Quoi en dire concrètement ? C'est vrai, mon art semble retenu, sans ses lignes précises, dans ses visages, dans ses figures. C'est vrai. Il l'est. Il est totalement comprimé et dense. Il est enfermé. "Lâche ton coup de pinceau !","laisse aller le dessin !", "dessine plus !" me disent mes amis. C'est ça un artiste ! Et bien non, parce que cela ne serait pas moi, tout simplement. Je suis à l'image de ma peinture : je suis un être comprimé et retenu dans ses émotions. J'ai bien peur de vous décevoir, il est peu probable qu'un papillon sorte de la chrysalide. Le papillon est déjà là, à prendre ou à laisser.
J'aime peindre l'humain et l'animal : approcher en deux dimensions les émotions qui se traversent en trois ; les émotions furtives qui passent sur les visages, celles qui sont toutes en nuances, difficiles à saisir, dans une sorte d'entre deux. Celles qui sont franches et tranchées. Celles qui veulent dire autre chose. Celles qui amènent à des abysses profonds de la pensée. Celles qui se passent de texte et de discours, finalement, parce qu'elles nous ramènent à l'essentiel : l'être dans son rapport au monde, et aux autres accessoirement.
Je revendique de faire de l'art et de l'artisanat. L'art sans l'artisanat n'est qu'une coquille vide tant le geste de la main, celui qui a surgi du fond des âges quand la parole même n'était pas construite, a de choses importantes à nous dire sur ce que nous sommes ; là encore dans notre rapport à la nature, à ce qu'elle nous offre de richesses et de connaissances.
Personnellement, peindre me transporte, me donne accès à une autre dimension du monde, dans laquelle je suis seule. Enfin presque... s'y trouvent les figures de la peinture. C'est un lieu magique où je capture à ma manière l'essence des êtres et des choses, où le temps n'a aucune prise car l'huile donne l'illustion de l'éternité. C'est l'inverse du monde contenu dans le portrait de Dorian Gray, en quelque sorte, où le temps se trouve prisonnier, à la merci du présent; dans l'univers pictural de Phi, il y a devant soi l'Eternité.
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